Une ultime semaine de congés traversant la période des fêtes de
fin d’année 2019 pour partir à la découverte des nymphéas d’Olivier Debré
exposés pour la première fois à Tours jusqu’au 5 janvier.
Je ne pouvais pas louper cette immersion et cette expérience
sensorielle qui m’avaient déjà valu une émotion lacrymale inattendue lors de
mon premier face à face il y a déjà bientôt dix ans avec l’un de ces
monumentaux bords de Loire exposé à la Cohue de Vannes.
Ceux
que j’allais rencontrer au CCOD (centre de création contemporaine d’Olivier
Debré) allaient être les plus gigantesques.
Pour cela, il a fallu que je déploie une énergie, une volonté
toutes aussi colossales pour affronter un périple de trois heures sur
autoroute ! Une durée qui peut prêter à sourire, mais qui provoque chez
moi une angoisse réellement insoutenable. En temps normal, ma capacité à rester
concentrer sur une route n’excède pas une heure.
Mon seul secours ou mantra aura été de me répéter tout au long
de cette traversée : « Si Thomas Pesquet peut aller sur la station
spatiale internationale, alors je peux aller sur Tours même de
nuit ! »
J’avais préféré dormir à l’hôtel et me réveiller en douceur,
parfaitement remis de mon odyssée afin de ne pas être parasité par la fatigue
et la nervosité lorsque je rentrerai dans la cathédrale dédiée à ma déité
picturale.
Il se
produira malheureusement tout l’inverse.
Influencé par les commentaires élogieux sur l’hôtel réservé via
Booking.com, j’allais pourtant passer la nuit dans une cellule monastique des
plus austères. L’insalubrité de la toute petite pièce ne m’aurait probablement
pas gêné si elle n’avait pas été écrasée sous une cadence infernale de pas, de
claquements de portes et de jouissances nocturnes évoquant davantage un hôtel
de passe qu’un lieu propice au sommeil.
« Ce que j’ai recherché dans les grandes
peintures c’est la sensation physique d’un espace qui domine notre corps, qui
soit un lieu que nous puissions vivre comme nous habitons une pièce »
Olivier Debré.
Qui ne s’est jamais retrouvé face à une toile d’Olivier Debré ne
s’est jamais retrouvé dans le corps et l’âme d’un paysage.
Une peinture qui permet de tout voir, de tout ressentir, de
s’adresser à une nature souveraine, captivante, immensément pleine, généreuse
et triomphante de simplicité, de justesse, d’intérêt. Le peintre a réussi
l’exploit de révéler la quintessence du paysage, sa peau, son entité d’une
façon organique, vivante, permanente. Sa peinture continue de palpiter,
d’éblouir, de couler paisiblement comme son parent : La Loire … Qui ne
s’arrête pas à l’influence, à l’inspiration ni même à la réalisation
consciente. Les œuvres d’Olivier Debré rejoignent non seulement le fleuve mais
elles témoignent de son ubiquité. La Loire emprunte ainsi un autre courant,
investit le geste du peintre pour s’étendre, jaillir, occuper un espace dans
lequel elle pourra à la fois se voir et se faire voir.
« L’intelligence » du paysage vient jusqu’à nous, elle vient nous
transmettre, confirmer notre réalité.
Après deux heures d’immersion à contempler les six toiles, la
réceptionniste m’invita à découvrir la galerie noire investie par l’artiste
F-V.
« Son travail constitue un besoin vital de nous faire
partager une conversation intime avec les propres pensées de l’artiste »
pouvait-on lire sur la note de présentation, et c’est principalement à cet
endroit, sur ce champ d’action, lorsque la peinture devient un
« travail » que mes compétences de lecteur s’arrêtent ou s’épuisent.
La vision de très loin et sans mes lunettes de ce premier
« plateau » aux figurines bleues m’a curieusement fait repenser aux
scènes miniatures des frères Chapman (Couvent des jacobins - Rennes
2018) capables de métaphoriser toute l’horreur humaine, son incohérence,
son irrépressible désir de destruction pour aboutir insidieusement vers une
proposition certainement plus dérangeante : Rendre l’insoutenable
extraordinaire.
Le centre ville n’a de moderne que son tramway. Au dédale des
rues médiévales jonchées de crottes et de déchets, je n’aurais pas été surpris
de croiser un carrosse, des crinolines ou encore de recevoir un pot de chambre
sur la tête comme il était alors coutume à cette époque d’évacuer depuis les
fenêtres.
Il a fallu que je demande mon chemin aux autochtones d’une
« vieille France » épouvantés par cette agression. C’est un peu comme
si je leurs avais placé une lame de couteau sous la gorge en les sommant de
vider leurs poches !
Heureusement que je n’ai eu à dépouiller que deux seigneurs de
leur précieuse tranquillité car je trouvais assez vite l’ancien palais
épiscopale dans lequel je pourrai à nouveau dialoguer avec des toiles de mon
peintre préféré (avec Monet).
de visiter d’abord la salle des œuvres contemporaines située au
deuxième étage.
J’étais venu ici me retourner une dernière fois sur cet horizon
unique avant de goûter aux sucreries bucoliques …
Quel émerveillement de constater à chaque fois les similitudes
entre un tableau du XIXe et l’essence, les contours d’une œuvre du XXe.
Un Debré exprime la même passion qu’un Lambinet :
La lumière, les reliefs et l’écriture se rejoignent et il en va de
même pour ce petit paysage de Loire réalisé par Edouard Debat-Ponsan,
exceptionnel par son envergure, sa profondeur et son silence :
En redescendant au premier étage, je m’arrêtais, impressionné par
l’intemporalité de ce portrait :
Rien n’est décidément plus vivant qu’une peinture.
Ce chef-d’œuvre est d’autant plus stupéfiant qu’il semble être
réalisé par un autre peintre habitué aux portraits exagérément romantiques (Emile Vernon « Sous la lampe » 1902).
L’excellence, la vérité d’un peintre peut donc surgir une seule
fois au sein d’une production sirupeuse qui le rendit pourtant célèbre.
Je continuais d’absorber une autre démonstration d’humanité,
d’influence caravagesque, à la fois saisissante de vulnérabilité et
d’importance.
L’éphémère se cristallise dans une éternité, à l’intérieur de ce
musée, au regard du visiteur égaré soudainement surpris par son
empathie et par les premiers murmures de son impermanence.
J’achevais la visite en passant par une salle qui allait me faire
oublier mon retour ce soir au monastère.
J’ignore la raison de cette ridicule sensation ou prétention
d’avoir un jour appartenu à ce siècle d’indécente oisiveté.
Je reconnais les marqueteries, les dorures, les moulures, les
tissus. Je n’apprends rien de ces mises en scène, je les trouve même souvent
caricaturales ou incomplètes. Les châteaux me procurent un bien-être, une
sécurité et la certitude d’être revenu dans ma seule et véritable chambre.
La nuit avait déjà commencé à recouvrir la ville des chaises à
porteurs et j’allais devoir me traîner dans ce siècle inadapté à mes caprices
et à ma créativité.
Les vitrines éclairées des galeries Tourangelles s’évertuaient à
sublimer les mêmes directions, indications : Des impasses comme on en
rencontre désormais dans toutes les villes.
Qui pourrait encore vouloir de mes portraits ou de mes petits
monstres comme certains aiment tendrement à les nommer ?
Voilà que je me plais à rêver avec affèterie à la reconnaissance
du musée.
Une petite salle, ni noire ni blanche, mais suffisamment
transparente pour que leurs regards atteignent ceux des visiteurs.
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